Les cellules cancéreuses assoiffées de graisses

Par |Publié le : 10 novembre 2016|Dernière mise à jour : 14 août 2024|4 min de lecture|

lipides tumeurs

Mieux comprendre comment grandissent et prolifèrent les cellules cancéreuses est un enjeu capital dans la lutte contre les cancers. Et si les graisses jouaient un rôle clé pour la croissance et la prolifération tumorale ?

L’environnement particulier des tumeurs

Le métabolisme des cellules cancéreuses est largement étudié dans le monde pour mettre au point des thérapeutiques de plus en plus efficaces et ciblées contre les cancers. L’environnement des tumeurs est très particulier. Il se caractérise essentiellement par son acidité (10 fois plus acide que le milieu normal des cellules) et une hypoxie (faible oxygénation des tumeurs par rapport aux tissus sains).

Comment cet environnement particulier influence les cellules cancéreuses ? De précédentes études ont mis en évidence que l’hypoxie entraîne une consommation forte de glucose par les cellules cancéreuses. Cette utilisation du glucose participe à augmenter l’acidité du milieu.

Une équipe de chercheurs belges travaille depuis 4 ans sur la reproduction en laboratoire de l’environnement des cellules cancéreuses et ses effets sur le métabolisme de ces cellules. En 2014, ils font une première découverte. Lorsque le milieu devient très acide, les cellules cancéreuses délaissent le glucose comme source d’énergie et privilégient la glutamine (acide aminé constitutif des protéines).

Très récemment, la poursuite de leurs travaux a permis de faire une découverte pour le moins surprenante.
A savoir ! Les sources d’énergie de la cellule : Toutes les cellules ont besoin d’énergie pour vivre, se développer, se diviser, etc. Elles disposent de trois grandes sources d’énergie :

  • Les glucides dégradés en glucose, principale source d’énergie des cellules dans les conditions normales ;
  • Les lipides (ou graisses) dégradés en acides gras, lorsque les glucides commencent à manquer ;
  • Les protéines dégradées en acides aminés, utilisées généralement quand les autres sources d’énergie sont épuisées.

 

Des cellules cancéreuses qui se nourrissent de graisses

Les chercheurs belges ont mis en évidence que les cellules cancéreuses sont capables de moduler leurs sources d’énergie en fonction de l’environnement de la tumeur. Elles peuvent alternativement se nourrir de glucides, de lipides ou de protéines, et ce en fonction du taux d’oxygène et de l’acidité du milieu.

Par ailleurs, les résultats indiquent une profonde reprogrammation du métabolisme des acides gras dans les cellules cancéreuses lorsque le milieu devient acide. Les cellules cancéreuses sont en effet capables à la fois d’utiliser les acides gras pour produire de l’énergie nécessaire à leur croissance, mais aussi de former des lipides à partir de glutamine pour leur prolifération. Les lipides sont essentiels pour la structure et la fonction des membranes cellulaires.

Cette double capacité est spécifique des cellules cancéreuses. Mais cette particularité témoigne aussi d’une dépendance aux lipides. En effet, plus le milieu devient acide, plus les cellules cancéreuses ont besoin de sources lipidiques pour croître et proliférer. Est-il possible d’exploiter cette dépendance pour mettre au point de nouvelles thérapies anti-cancéreuses ?

A savoir ! Dans les tissus sains, une cellule a deux capacités :

  • produire de l’énergie à partir des lipides ;
  • former des nouveaux lipides pour constituer des membranes.

Cependant, la cellule est programmée pour ne pas pouvoir utiliser les lipides qu’elle fabrique pour ses membranes. Ces lipides ne peuvent donc pas servir de source énergétique. Les sources lipidiques utilisées pour produire de l’énergie proviennent des lipides de l’alimentation.

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Vers une nouvelle piste thérapeutique ?

Si les cellules cancéreuses dépendent fortement des ressources lipidiques, pourrait-on réussir à les priver de lipides pour limiter la croissance tumorale ? Les résultats surprenants de cette étude ouvrent de nouvelles pistes pour la mise au point de thérapies anti-cancéreuses innovantes.

Il est bien sûr impossible de priver totalement les cellules cancéreuses d’apports lipidiques, car les tissus sains ont besoin de ces ressources. Mais les chercheurs suggèrent de bloquer l’utilisation des lipides par les cellules cancéreuses, en concevant des substances capables d’interférer avec le métabolisme lipidique particulier des cellules cancéreuses.

Ces chercheurs ont déjà mis au point de tels composés qui permettent de bloquer la dégradation et la synthèse des acides gras dans les cellules cancéreuses chez la souris. Ces substances entraînent un arrêt de la croissance tumorale chez la souris. Ces résultats sont donc très prometteurs pour développer de nouveaux médicaments anti-cancéreux visant à supprimer les ressources énergétiques des cellules cancéreuses.

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Estelle B. / Docteur en Pharmacie


Sources

Université Catholique de Louvain. Découverte de portée mondiale en oncologie. 3 novembre 2016.

Corbet, C. et al. Acidosis drives the reprogramming of fatty acid metabolism in cancer cells through changes in mitochondrial and histone acetylation. 2016, Cell Metabolism 24, 311–323.

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Estelle B.
Pharmacienne
Pharmacienne Spécialiste de l'information médicale et de l'éducation thérapeutique du patient. Passionnée par les domaines de la santé et de l'environnement marin. Rédige un contenu scientifique fiable avec des sources vérifiées en respect de notre charte HIC.