Agir sur le cerveau pour se protéger de l’addiction
Pourquoi certaines personnes tombent-elles plus facilement dans l’addiction ? Que se passe-t-il dans le cerveau lorsque l’on passe d’un état de dépendance contrôlable à un état d’addiction ? Pour répondre à ces questions, des chercheurs de l’université de Genève, sous la responsabilité de Christian Lüscher, ont étudié le cerveau de souris dépendantes aux drogues. Contre toutes attentes, ils ont identifié les structures neuronales transformant une dépendance en consommation compulsive. Zoom sur ces travaux publiés dans la revue Nature.
Distinction entre dépendance et addiction
Les spécialistes distinguent la dépendance de l’addiction.
L’addiction ou la dépendance peuvent concerner les substances (tabac, alcool, drogue, sucre…) mais aussi, les comportements (internet, jeux vidéo, achats compulsifs, sexe, jeux d’argent, aliments…).
Une addiction est un processus progressif : usage récréatif puis, dans certains cas, l’activité est pratiquée avec une perte de contrôle. Cette pratique abusive mène progressivement à l’addiction proprement dite.
Divers mécanismes sont impliqués dans l’installation d’une addiction : une augmentation de la motivation (recherche de plaisir), un état émotionnel négatif (recherche d’un soulagement) et une diminution de la capacité à se contrôler.
» La dépendance signifie qu’un sevrage sera nécessaire, mais elle n’entraine pas forcément une addiction, soit le besoin compulsif de consommer. Par exemple, tout le monde devient dépendant à l’héroïne dès les premières injections, mais tout le monde n’en consomme pas de manière incontrôlée « précise Christian Lüscher, chercheur au Département des neurosciences cliniques des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Cette différence explique alors que l’on peut être dépendant à une substance et la consommer de façon récréative pendant plusieurs années.
Quand la personne tombe dans l’addiction, toute sa vie est bouleversée et elle cherchera toujours à consommer la substance (ou pratiquer un comportement) malgré les dommages collatéraux de cette activité (problème de santé, perte d’emploi, isolement par rapport à la famille et les amis, exposition accrue à différents risques, pratique du vol ou autres délits).
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Une addiction sous contrôle neuronal
Comment explique-t-on alors qu’une personne devient rapidement accro aux substances alors que d’autres non ?
Pour cerner ces différences, l’équipe de scientifiques suisses a laissé des souris sans contrainte face à leurs dépendances : il suffisait d’activer un levier pour stimuler leur système de la récompense. C’est un système lumineux qui permettait d’actionner leurs neurones dopaminergiques modifiés génétiquement pour s’activer sous l’influence de certaines longueurs d’onde. C’est l’optogénétique, une technique révolutionnaire utilisée majoritairement dans les neurosciences.
À savoir ! La dopamine est un neurotransmetteur permettant la communication entre les neurones. Elle est responsable des phénomènes d’addiction. Les réseaux dopaminergiques sont étroitement associés aux comportements d’exploration, de la vigilance, de la recherche du plaisir et de l’évitement actif de la punition. Les drogues, le sexe et certains comportements addictifs activent ce système dopaminergique.]
Ensuite, ils ont associés à cette stimulation agréable, un effet négatif : une petite décharge électrique leur était infligée quand elles actionnaient le levier.
Résultats ?
40 % des rongeurs ont arrêté d’aller chercher un relargage de dopamine dans leur cerveau et les 60% restant continuaient à actionner le levier et finissaient par sombrer dans l’addiction.
Le facteur génétique n’est ici pas intervenu puisque toutes les souris avaient le même génome. Ceci suggère donc que la sensibilité aux addictions dépend davantage des comportements acquis qu’innés.
En mesurant l’activité cérébrale de ces souris, les chercheurs ont mis en évidence un circuit beaucoup plus actif chez les souris accros que chez les souris à consommation contrôlée. C’est le système dopaminergique mésolimbique (partie médiane du cerveau impliquée dans la prise de décision).
Plus étonnant encore, en activant ce réseau de neurones artificiellement, les chercheurs ont pu faire basculer les souris aux comportements réfractaires à un comportement d’accros. L’inverse était également vrai : la diminution de l’activité de cette zone cérébrale permettait aux souris les plus addictes de se détourner de leur addiction.
En théorie, il serait possible d’agir sur les addictions en passant directement par le cerveau.
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Julie P., Journaliste scientifique
– Stochastic synaptic plasticity underlying compulsion in a model of addiction. Nature. V.Pascoli et al. Consulté le 21 janvier 2019.
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